Le Night of Hell, un samedi soir, ses bars bondés, son night-club survolté prit d’assaut par les clubbeurs, habitués ou fêtards d’un soir, ses excès en tout genre, sa musique tonitruante, était vraiment le dernier endroit où on aurait pu s’attendre à trouver Annaelle, discrète et sérieuse libraire.
C’était oublier un peu vite qu’avant de la réduire à sa profession, c’était aussi une jeune femme de son âge qui ne crachait pas parfois sur un peu de distraction. Mais il est clair que même un client régulier de sa boutique aurait eu du mal à la reconnaître dans la femme qui se trémoussait sur la piste de danse, un verre à la main, en riant avec ses amis.
Même si elle n’était pas une habituée de ce genre de soirée, n’y participant que pour les grandes occasions, comme ce soir, pour l’anniversaire d’une de ses copines d’enfance, Annaelle ne les en appréciait que plus, s’amusant même à casser son image de fille trop sérieuse. Ce soir-là, elle avait d’ailleurs fait très fort avec sa courte robe noire à sequin qui mettait en valeur son physique avantageux et son innocente blondeur, ses chaussures à talon haut, son maquillage soigné et appuyé mettant en valeur son regard. Quand elle avait rejoint ses amis quelques heures plus tôt au restaurant du complexe, ils avaient marqué un temps d’arrêt, comme s’ils hésitaient à reconnaître dans la femme élégante et sure d’elle qu’ils avaient devant les yeux, la gamine timide qu’ils avaient autrefois connus. L’un d’entre eux lui avait même lancé un « Bonsoir Madame » distrait avant d’écarquiller les yeux, incrédule. C’était un de ses petits plaisirs coupable quand elle avait des soirées ou des événements particuliers, se déguiser en femme fatale et s’amuser des réactions qu’elle provoquait.
Après un repas émaillé de discours, de plaisanterie, de jeux et d’ouverture de cadeaux, le joyeux groupe avait rejoint la discothèque bien décidé à enterrer la nuit. Annaelle s’amusait beaucoup, oubliant les tracas de sa vie, retrouvant une certaine innocence et l’insouciance de ses vingts ans. Les quelques verres bus au cours du repas avait achevé de la détendre, au point qu’elle n’avait pas hésité une seconde à suivre les autres sur la piste de danse, même si elle s’était toujours considérée comme une piètre danseuse. De toute façon, elle était parfaitement consciente que ce qui attirait les regards sur elle n’était pas sa performance chorégraphique.
Même si la jeune femme ne se préoccupait que peu de son apparence, préférant souvent le confort au style pour ses vêtements, elle se savait belle, et elle était parfaitement consciente qu’avec les efforts qu’elle avait consenti à son apparence de ce soir, elle attirait les regards et aiguisait quelques appétits. Elle savait qu’elle risquait de devoir gérer quelques situations un peu délicate, mais ne s’en inquiétait pas outre mesure, elle était habitué à ce genre de chose, et elle avait toute une gamme de solutions, de la plus diplomatique à la plus percutante, pour ramener même les plus récalcitrant à un comportement correct. Et puis, ma fois, si le chasseur se révélait être à son goût, la soirée pourrait éventuelle n'en être que plus intéressante, et les rôles pourraient s'en trouver inversées. Si Annaelle était une fille plutôt sage, elle n'en était pas pour autant une oie blanche.
Tout à coup, au milieu de l’ambiance survoltée, des rires et de la musique, elle manqua un temps, s’immobilisant un instant au milieu de la foule des danseurs, avec l’impression que pendant une fraction de seconde le temps s’était arrêté. C’était une sensation qu’elle connaissait, elle avait toujours était extrêmement sensible, avec un instinct que certains de ses proches n’hésitaient pas à qualifier de sixième sens, ce qui la faisait rire. Mais elle avait appris depuis longtemps à ne pas balayer ce genre de ressenti d’un revers de la main, dans son activité annexe, ce genre de petite chose pouvait faire la différence entre la vie et la mort.
Elle jeta un coup d’œil autour d’elle, essayant de deviner ce qui l’avait ainsi mise en alerte, mais à part quelques œillades appuyées, quelques clins d’œil, elle ne vit rien qui puisse justifier cette sensation, qui pourtant perdurait, moins violente mais toujours présente, comme un regard insistant posé sur sa nuque. Pour masquer son trouble, et se donner une contenance auprès de ses amis, elle se dirigea vers la table qu’ils avaient réservée pour se servir un verre de soda, et en profiter pour observer plus attentivement les alentours. Mais, il n’y avait rien à faire, il n’y avait personne dont le comportement pouvait sortir de l’ordinaire dans un endroit comme celui là. Le seul qui retint une fraction de seconde de plus son regard que les autres fut un homme accoudé au bars à quelques mètres de leur table, grand, blond, élégant, plus âgés que la moyenne des clients de l’endroit, et nettement plus âgés que ses compagnes. Il lui avait semblé que son regard sur elle était différents des autres, plus acéré, mais avant même qu’elle n’en prenne pleinement conscience, il avait détourné les yeux.
Avec un haussement d’épaule, Annaelle chassa ses inquiétudes et regagna la piste de danse et son groupe d’ami.
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